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Tokhariens

© Chine Informations - La Rédaction

Les Tokhariens étaient un peuple indo-européen d'Asie centrale, ayant habité le bassin du Tarim, actuelle province du Xinjiang (Turkestan oriental), qui a disparu il y a environ un millénaire. Leur civilisation a été « découverte » par les Occidentaux il y a près d'un siècle, mais elle reste relativement méconnue. A partir des années 1980, la découverte de momies d'hommes de type européen dans l'ouest de la Chine, vieilles de 2 000 à 4 000 ans et probablement tokhariennes, a jeté un très intéressant éclairage sur leur lointain passé. Malheureusement, en raison de quelques similitudes avec la culture des Celtes (certaines momies portaient des tartans), se répandit la fausse idée que les Tokhariens étaient issus de peuplades celtiques installées en Chine.

Les Chinois ont conservé sur les Tokhariens de précieux témoignages dans leurs anciens écrits. On n'y trouve cependant aucune indication sur les langues tokhariennes. Il fallut attendre les expéditions archéologiques du début du XXe siècle pour apprendre qu'elles étaient indo-européennes et qu'elles présentaient des affinités particulières avec les langues européennes : le tokharien partage beaucoup de vocabulaire avec le germanique et le grec. Du point de vue morphologique, elles se rapprocheraient de l'italo-celtique. Elles ont par ailleurs un caractère archaïque.

Les expéditions en question, menées par l'Anglais Aurel Stein, les Allemands Albert Grünwedel et Albert von Le Coq, le Français Paul Pelliot, ainsi que par des Russes et des Japonais, ont également permis la découverte de ruines et de grottes qui ont livré un grand nombre d'informations sur les Tokhariens de l'époque bouddhique (Ier millénaire ap. J.-C.).

Le territoire des Tokhariens

Les Tokhariens vivaient dans l'actuelle province chinoise du Xinjiang, plus précisément dans la partie méridionale de cette province, le bassin du Tarim. C'est un territoire bordé au nord par les Monts Célestes (Tian Shan en chinois), au sud par les massifs du Kunlun et de l'Altyn Tagh, à l'ouest par le Pamir. Il est occupé par le désert du Taklamakan et il communique à l'est avec le désert de Gobi. Dans sa partie orientale, se trouve le Lop Nor, un marais salé dont la superficie s'est aujourd'hui beaucoup réduite.

La population se concentrait surtout dans les oasis du nord du bassin du Tarim. On y trouve aujourd'hui, d'est en ouest, les villes de Hami, de Tourfan, de Karachahr, de Koutcha, d'Aksu et de Kachgar. Toutes correspondent à d'anciens royaumes. Il n'y a presque jamais eu d'État unifié dans cette région, à cause de sa grande étendue et de la difficulté de voyager d'une oasis à une autre. Des royaumes étaient présents au sud du bassin, mais au cours du premier millénaire, ils ont périclité, victimes de l'avancée du désert.

La route de la soie passait par le bassin du Tarim. Il est certain que les Tokhariens ont tiré des bénéfices du commerce qui se déroulait, mais ils jouissaient aussi de la générosité de leur terre. Au sujet du royaume de Koutcha, le célèbre moine chinois Xuanzang, parti en Inde durant l'été 629 pour étudier le bouddhisme dans le pays d'origine de cette religion, a écrit : « Le sol est favorable au millet rouge et au froment. Il produit, en outre, du riz de l'espèce appelée gengtao, des raisins, des grenades et une grande quantité de poires, de prunes, de pêches et d'amandes. On y trouve des mines d'or, de cuivre, de fer, de plomb et d'étain ». Au sud de Karachahr, il y avait des mines d'argent dont on se servait pour la fabrication des monnaies.

Peu après l'an 400, un autre voyageur chinois, Zhimeng, a raconté que « dans la ville de Koutcha, il y a des hautes tours et des pavillons à plusieurs étages. Ils sont décorés d'or et d'argent ». Les Chinois étaient éblouis par la magnificence du palais royal, dont les salles étaient « grandes et imposantes et enrichies de langgan, d'or et de jade ». Le langgan serait une variété de jade rouge, que les populations du bassin du Tarim livraient aux Chinois dès l'Antiquité. De toutes ces resplendissantes cités, il ne reste absolument plus rien. Bien plus que le déclin de la route de la soie, c'est l'épuisement des ressources naturelles qui a entraîné le déclin du bassin du Tarim.

Les langues tokhariennes

Tokhariens

Sur les manuscrits ramenés du bassin du Tarim par les expéditions européennes et japonaises, il y avait une langue inconnue qui fut d'abord appelée la « langue I ». Le turcologue allemand F. W. K. Müller lui donna en 1907 le nom de tokharien. En 1908, les indianistes Émile Sieg et Wilhelm Siegling prouvèrent son caractère indo-européen. Un peu plus tard, l'orientaliste français Sylvain Lévi publia les premières traductions de textes. Le déchiffrement n'avait guère posé de problème, car le tokharien était noté avec une écriture d'origine indienne, la brāhmī. De plus, on disposait de documents bilingues tokharien-sanskrit.

Les documents les plus anciens datent du VIe ou peut-être du Ve siècle, mais pour l'essentiel, ils remontent aux VIIe et VIIIe siècle. S'ils sont rédigés sur du papier, invention venue de Chine au début de notre ère, leur présentation est de type indien.

En fait, il n'y a pas une seule langue, mais deux, qui furent appelés le tokharien A et le tokharien B. Dans la région de Koutcha, seuls des manuscrits en tokharien B ont été trouvés, c'est pourquoi cette langue est aussi appelée le koutchéen. L'essentiel des manuscrits en tokharien A provient de la région de Karachahr, plus précisément des ruines d'un grand complexe monastique qui se trouve à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de cette ville, sur le site de Chortchouq. Dans cette région, se trouvait autrefois un royaume appelé Agni dans les textes sanskrits. Le terme d'agnéen peut donc être utilisé pour désigner le tokharien A. À Chortchouq, on a aussi trouvé des manuscrits en koutchéen. Enfin, des textes en koutchéen et en agnéen proviennent de différents sites de la région de Tourfan.

Le koutchéen et l'agnéen sont des langues étroitement apparentées, mais elles sont trop différentes pour être mutuellement intelligibles par leurs locuteurs. Il y a autant de différences entre elles qu'entre l'italien et le roumain. Il est instructif de mettre en parallèle deux phrases en agnéen et en koutchéen qui sont de même signification :

Agnéen : wiki-wepiñcinäs shpät konsan āyäntwan mäśśunt tämnäshtr-än

Koutchéen : ikañcen-wacen shuk kaunne mrestīwe kektsenne tänmastär-ne

Elles sont extraites d'un texte qui semble décrire le développement du fœtus et elles signifient : « La vingt-deuxième semaine apparaît sa moelle ».

Une des caractéristiques majeures du tokharien est l'inexistence des occlusives sonores et aspirées : les trois séries d'occlusives g, d, b ; gh, dh, bh et kh, th, ph de l'indo-européen commun (langue mère de toutes les langues indo-européennes) ont été réduites à la seule série k, t, p. Les Tokhariens ne pouvaient donc pas prononcer correctement le nom de Bouddha : ils disaient Poutta. Ils ont créé une voyelle, transcrite par la lettre ä, qui était assez proche du i. Les mots tokhariens ont été raccourcis : « cheval » se dit *ekwos en indo-européen commun, yakwe en koutchéen et yuk en agnéen. Le phénomène est plus prononcé en agnéen qu'en koutchéen, parce que la seconde de ces langues a évolué plus lentement que la première.

Les Tokhariens s'appelaient-ils vraiment ainsi ?

En d'autres termes, le nom donné à ce peuple était-il justifié ? Ce problème n'est pas encore résolu avec certitude.

Au IIe siècle av. J.-C., un peuple appelé Τόχαροι / Tókharoi (attesté chez Strabon, XI, 8, 2, puis chez Ptolémée, VI, 11, 6) par les Grecs s'est installé en Bactriane, à l'ouest du Pamir. Il a donné son nom à cette région : la Bactriane du premier millénaire de notre ère est souvent appelée « Tokharistan » (ou parfois « Tokharestan » dans les textes français). Or un texte en langue turque qualifie la langue A de twqry. La lecture en est difficile, mais F. W. K. Müller l'a rapproché du nom des Tokhares de Bactriane. Il pensait donc que ces Tokhares parlaient la langue A, d'où le nom qu'elle a reçu.

Le terme de tokharien ne devrait pas être appliqué au koutchéen. On le fait cependant, puisqu'il est commode d'appeler les locuteurs des langues A et B par un terme unique. Grâce aux textes koutchéens, on sait que les anciens habitants de la région de Koutcha s'appelaient eux-même les Koutchéens (kuśiññe dans leur langue, au singulier). Le nom actuel de cette ville est donc l'un des rares vestiges des langues tokhariennes. Dans cette région, se trouvait le plus important royaume du bassin du Tarim, de loin le plus peuplé, que l'on peut appeler le Koutchi. Le tokharologue Douglas Q. Adams a estimé qu'au VIIe siècle, avec les États vassaux, il était d'une superficie égale au Népal et qu'il comprenait dans les 450 000 habitants, soit autant que l'Angleterre à la même époque. Dans les textes chinois, sa capitale était appelée Yiluolu. La circonférence de cette ville était d'un peu moins de 10 kilomètres.

Les locuteurs de la langue A étaient-ils vraiment des Tokhares ? Était-ce le même peuple qui vivait dans la région de Karachahr et en Bactriane ?

Certains arguments, qui n'étaient pas connus quand le tokharien était en cours de déchiffrement, sont venus appuyer cette thèse. On a notamment découvert un texte chinois provenant de Dunhuang, à l'extrémité orientale du bassin du Tarim, où il est écrit que le royaume qui se trouve entre Koutcha et Tourfan, c'est-à-dire l'Agni, était yuezhi.

Les Yuezhi étaient un peuple très puissant qui vivait autrefois dans l'ouest du Gansu, précisément dans la région de Dunhuang. C'étaient des nomades et des guerriers qui combattaient à cheval, avec des arcs. À une époque inconnue, ils ont fondé un empire qui contrôlait notamment le bassin du Tarim. Au IIe siècle av. J.-C., ils ont été vaincus par des nomades originaires de la Mongolie, les Xiongnu. D'après les historiens chinois, une grande partie d'entre eux a quitté le Gansu pour s'installer en Bactriane.

Il se peut que quelques Yuezhi soient restés dans la région de Karachahr, où ils auraient fondé le royaume d'Agni. On expliquerait ainsi que la même langue ait été parlée à Karachahr et en Bactriane. Si les Yuezhi des sources chinoises sont identiques aux Tokharoi des sources grecques, il en résulte que les Agnéens étaient bien des Tokhares. L'équation Yuezhi = Tokharoi est admise par de nombreux spécialistes, bien qu'elle soit difficile à démontrer.

Au moins peut-on admettre que les Yuezhi étaient bien les ancêtres des Agnéens. En 1966, le sinologue Edwin G. Pulleyblank a fourni plusieurs excellents arguments pour prouver que les Yuezhi parlaient une langue tokharienne. Cela donne une dimension tout à fait différente aux Tokhariens : ils n'étaient pas que des sédentaires vivant dans les oasis du bassin du Tarim. Ils ont également été des guerriers capables de conquérir de vastes territoires. Il est certain que l'empire des Yuezhi jouissait d'un prestige immense, un peu comme celui des Mongols, mais puisque les Chinois ont commencé à parler de lui quand il s'était déjà effondré, on sait très peu de choses sur lui.

Un coup d'œil sur l'histoire

Les origines

Comment se fait-il que des langues apparentées à celles de l'Europe aient été parlées à l'ouest de l'actuelle Chine ? Cela suppose qu'une migration se soit produite, mais quand et à partir d'où ? On pourrait également s'interroger sur ce qui a provoqué cette migration et quelle route elle a empruntée.

Certaines de ces questions resteront sûrement à jamais sans réponse. On peut toutefois remarquer que d'après la plupart des spécialistes, le foyer des langues indo-européennes se trouvait au nord de la mer Noire. Là, vers le IVe millénaire av. J.-C., vivait un type d'hommes au squelette qualifié de paléo-europoïde et qui a aujourd'hui disparu de cette région. Ces individus étaient enterrés sous des tumulus que les Russes appellent des kourganes.

Aux environs du Lop Nor, sur un territoire qui allait appartenir 1500 ans plus tard au royaume tokharien du Kroraina, on a trouvé un cimetière où des individus de type paléo-europoïde étaient enterrés. Ce cimetière, dit de Qäwrighul, est daté de la première moitié du IIe millénaire av. J.-C. Certaines tombes étaient entourées par des cercles de pieux ou comportaient des statuettes féminines, deux caractéristiques existant chez les peuples indo-européens anciens. Il est tentant de considérer ces individus comme des Tokhariens.

Au sujet du territoire occupé par les Tokhariens à l'époque de Qäwrighul, des observations essentielles ont été faites. On sait que le sanskrit a été apporté en Inde par un peuple appelé les Indo-Aryens, qui vivait vers l'an -2000 en Bactriane (cf. Théorie de l'invasion aryenne). Cette région est située à l'ouest du Bassin du Tarim et en est séparée par le Pamir. Il s'avère que les Tokhariens et les Indo-Aryens ont emprunté un même vocabulaire à un même peuple non indo-européen, comme les termes *āni- « hanche » et *ishti- « argile, brique ». Ils sont respectivement devenus oñi- et iśce- en koutchéen (c se prononce toujours tch). Les linguistes s'accordent à dire que ces emprunts ont été effectués à une très haute époque (durant celle de Qäwrighul ou même avant) et de manière indépendante parce qu'il n'y avait pas d'échanges directs entre Tokhariens et Indo-Aryens. Ces observations impliquent cependant que les deux peuples ne se trouvaient pas très loin l'un de l'autre. A cette époque, les Tokhariens se trouvaient donc, sinon déjà dans le bassin du Tarim, au moins en Asie centrale.

Avant de pénétrer dans le bassin du Tarim, les Tokhariens ont peut-être vécu en Sibérie méridionale, le long du cours supérieur de l'Ienisseï. Au cours du IIIe millénaire av. J.-C., il s'y trouvait une culture dite d'Afanasievo, fondée par des hommes de type paléo-europoïde et qui apparaît comme une véritable antenne de la culture des kourganes. Il faudrait pouvoir démontrer que la culture de Qäwrighul est à son tour une émanation de la culture d'Afanasievo, mais cela ne peut pas être fait pour le moment.

L'Antiquité

Les peuples de l'Asie ont souvent laissé peu de témoignages écrits sur eux-mêmes, à part les Chinois ou leurs voisins sinisés, qui avaient une tradition historiographique irremplaçable. L'histoire de ces peuples n'est connue que parce que les Chinois ont parlé d'eux, or la science historique chinoise ne commence véritablement qu'avec Sima Qian, peu avant notre ère. Avant, c'est donc l'obscurité, voire les ténèbres complètes.

On sait ainsi, grâce aux Chinois, qu'un siècle avant notre ère, les principaux royaumes du bassin du Tarim existaient déjà et qu'ils avaient une structure administrative évoluée. Au Koutchi, on pratiquait déjà une agriculture irriguée. Les Koutchéens étaient habiles à fondre le fer, technique qui ne sera maîtrisée en Europe qu'au Moyen Âge.

La découverte récente du site de Djoumboulak Koum, dans la partie occidentale du désert du Taklamakan, a permis de savoir que l'agriculture irriguée remontait au moins à 500 avant notre ère. Ce site comprend une forteresse dont la construction a dû mobiliser des moyens importants. Elle laisse donc supposer l'existence d'un pouvoir centralisé.

Et avant ?

Les sources chinoises de l'Antiquité mentionnent l'existence des Quanrong, c'est-à-dire des Rong-Chiens, quan signifiant « chien ». Le terme « Rong » était appliqué aux barbares occidentaux. Ils étaient localisés dans les Sables Mouvants, expression désignant le désert du Taklamakan. Ils élevaient beaucoup d'animaux et ils avaient un tempérament guerrier. Le roi Mu de la dynastie Zhou, qui a régné de 1001 à 967 av. J.-C. d'après la chronologie traditionnelle, les a attaqués sur leur propre territoire. Il aurait fait prisonnier cinq rois, ce qui montre qu'à cette époque, les Rong-Chiens ne formaient pas une nation unifiée.

Il y a différentes raisons de croire que les Rong-Chiens étaient les ancêtres des Koutchéens. Par exemple, la couleur blanche avait une importance symbolique très grande chez les Rong-Chiens tandis que pour les Chinois, les Koutchéens étaient des « Blancs ». Chez les Rong-Chiens comme chez les Koutchéens, on signale l'existence de festins durant lesquels une jeune fille servait à boire ou à manger aux hommes. D'après Georges Dumézil, ces festins seraient en fait mythiques et liés à la quête de l'immortalité, qui était une composante essentielle de la religion tokharienne.

On peut donc admettre que les Tokhariens se trouvaient dans le bassin du Tarim au moins depuis le Xe siècle av. J.-C., déduction compatible avec ce que nous venons de dire sur les origines de ce peuple. Certaines momies provenant de ce territoire et qui sont datées du Ier millénaire av. J.-C. ont donc des chances d'avoir été tokhariennes (ou Rong-Chiens, plus précisément?). Aucun procédé n'a été appliqué à ces corps pour permettre leur conservation. Ils se sont desséchés naturellement, grâce au climat et à certaines propriétés du sol. Les tartans qui ont été trouvés provenaient de la région de Hami, tout à fait en bordure du bassin du Tarim. Rien ne permet de penser qu'ils aient été tokhariens. Il faut reconnaître que leur ressemblance avec les tissus celtiques est très frappante et tout à fait troublante, mais il n'est pas nécessaire de supposer une migration de Celtes en Chine. Ces tissus ont pu être apportés par les Iraniens nomades, qui sillonnaient durant l'Antiquité une grande partie de l'Eurasie.

Les habitants du bassin du Tarim, au Ier millénaire av. J.-C., n'étaient généralement pas de type paléo-europoïde. Un mélange s'est donc produit entre les migrants et des populations locales. Les Tokhariens de l'ère bouddhique sont nés de ces rencontres.

L'ère bouddhique

Après avoir défait les Yuezhi, les Xiongnu prirent à leur tour possession du bassin du Tarim, avec toutes ses richesses. C'était alors l'époque de la dynastie Han, l'une des grandes époques de la Chine. Pour affaiblir les Xiongnu, il fallait les écarter du bassin du Tarim. Les Chinois y envoyèrent donc des troupes. Les royaumes tokhariens se trouvèrent ballottés entre ces deux « superpuissances » qu'étaient la Chine et les nomades de Mongolie. À vrai dire, cette situation très inconfortable se prolongea durant une grande partie leur histoire.

Les récits des efforts diplomatiques déployés pour obtenir la soumission des royaumes du Tarim ou des guerres qui eurent lieu remplissent les chroniques chinoises. Elles mentionnent parfois les conflits qui se produisirent entre ces royaumes et elles sont totalement muettes sur l'histoire interne de chaque royaume. Dans les textes tokhariens, on ne trouve presque aucun renseignement utile. On sait que les rois du Koutchi et de l'Agni se qualifiaient de « Grands Rois », suivant l'exemple des rois indiens (les mahârâja). Sur des laissez-passer de caravanes provenant du Koutchi, on a trouvé le nom du roi Suvarnapushpa (Fleur d'Or), qui régnait au moins dès 618, et de son fils Suvarnadeva (Dieu d'Or), qui lui succéda en 624. Ces deux souverains ont des noms sanskrits, le deuxième étant parfois koutchéanisé en Swarnatepe. Xuanzang a rencontré ce souverain et a rapporté qu'il « a peu de prudence et de capacité et se laisse dominer par des ministres puissants ».

Un fait historique majeur est la conversion des Tokhariens au bouddhisme. Il s'agit de l'école sarvâstivâda, rattachée à ce que l'on appelle le Petit Véhicule. On ignore quand la conversion eut lieu, mais on sait que vers l'an 300, le bouddhisme était déjà florissant au Koutchi. Parmi les peuples qui ont converti les Tokhariens, il y a les Khotanais, peuple de langue iranienne installé à Khotan, au sud-ouest du bassin du Tarim. Certains termes bouddhiques utilisés par les Koutchéens sont d'origine khotanaise.

L'arrivée du bouddhisme a provoqué un accroissement de l'influence indienne chez les Tokhariens. C'est après leur conversion qu'ils ont utilisé la brāhmī pour noter leurs langues. L'usage s'est répandu, au sein de l'aristocratie, de porter des noms sanskrits.

Il n'est pas interdit de penser que le bouddhisme est arrivé très tôt et a mis plusieurs siècles pour s'imposer, car il s'est heurté aux fortes traditions religieuses des Tokhariens. En Agni, au début du septième siècle, il existait toujours des prêtres de l'ancienne religion. Un syncrétisme s'est produit. De même que le bouddhisme est devenu chinois en Chine, japonais au Japon ou tibétain au Tibet, il est devenu koutchéen au Koutchi.

Les Koutchéens ont créé des divinités hybrides, comme le « dieu-soleil de l'Omniscient », où l'Omniscient est le Bouddha et le dieu-soleil est une divinité koutchéenne. Ce peuple vénérait le soleil (associé à la couleur blanche), en particulier le soleil levant, si bien que l'est était pour eux la direction de référence. Dans les textes koutchéens, il est parfois question du « lever du dieu-soleil de l'Omniscient ». Le dieu du Tonnerre des Koutchéens, Ylaiñäkte, a été intégré au panthéon bouddhique.

À leur tour, les Koutchéens ont contribué à convertir les Chinois au bouddhisme. Dès 1913, Sylvain Lévi a remarqué que certaines expressions du bouddhisme chinois dérivaient non pas du sanskrit, mais du koutchéen. Ainsi, le fait de devenir moine se dit « partir en avant » en sanskrit, mais les Koutchéens et les Chinois disent « quitter la maison ». Pour désigner l'hérésie, les Koutchéens ont emprunté des termes au sanskrit, comme mithyādrishti « vue fausse », mais ils ont également donné à leur adjectif pärnaññe « extérieur » le sens de « hérétique », or en chinois, l'hérésie se dit waidao « voie extérieure ».

Ainsi, le bassin du Tarim n'est pas une simple route que le bouddhisme a empruntée pour se rendre en Chine : il s'y est arrêté et a pris une coloration locale, avant de reprendre sa route.

La fin

La dynastie Tang, créée en 618 par Li Yuan, fut confrontée aux Turcs Bleus de Mongolie (que les Chinois appelaient Tujue), de même que les Han avaient été confrontés aux Xiongnu. Dès l'accession au pouvoir de Li Yuan, le roi Suvarnapushpa lui envoya une ambassade. Dans un premier temps, son successeur, Suvarnadeva, maintint les relations d'amitié avec la Chine, mais il se rangea ensuite du côté des Turcs. D'autres souverains du bassin du Tarim ayant fait de même, cela entraîna une intervention militaire des Chinois. Suvarnadeva étant mort en 646, ce fut son frère Haripushpa (Fleur Divine), qui dut affronter les troupes chinoises. Les Koutchéens jetèrent toutes leurs forces dans cette guerre et ils parvinrent à tuer un général chinois qui avait été victorieux à Karachahr, mais en 648, ils furent vaincus. En représailles, les Chinois détruisirent cinq grandes villes et massacrèrent tous leurs habitants, des « myriades d'hommes et de femmes », comme le rapportent laconiquement leurs chroniques.

Ce coup très dur porté au Koutchi n'entraîna pas la mort de sa civilisation, mais elle fut progressivement sinisée, comme le reste du bassin du Tarim.

En 744, l'empire des Ouïgours succéda à celui des Turcs Bleus en Mongolie. Il s'effondra en 840, à la suite d'une invasion des Kirghiz. Le coup fut si sévère que les Ouïgours durent fuir la Mongolie. Ils se réfugièrent au Gansu, puis dans le bassin du Tarim, d'abord à Tourfan, ensuite chez les Agnéens et les Koutchéens.

Les Tokhariens et les Ouïgours se mêlèrent, puis les langues tokhariennes s'éteignirent lentement, sûrement parce que les Ouïgours étaient très supérieurs en nombre. Quand ils vivaient en Mongolie, ces derniers s'étaient convertis au manichéisme. Au contact des Tokhariens, ils devinrent peu à peu bouddhistes. De nombreux vestiges de la culture tokharienne seraient sûrement restés si les Ouïgours ne s'étaient pas convertis à l'Islam, au début du IIe millénaire.

Au début du XXe siècle, les habitants de Koutcha étaient réputés avoir un parler extraordinairement pur, au point que les autres habitants du bassin du Tarim avaient du mal à les comprendre. Très doués pour la poésie, ils ont des facilités pour parler en vers. Comme l'a supposé Sylvain Lévi, il s'agit sans doute d'un don « hérité » des anciens Koutchéens.

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